Isabelle Martin est à la tête d’une ferme herbagère bio, située sur le plateau ardennais. Elle y élève des bovins de la race Blonde d’Aquitaine, en système naisseur (40 vaches allaitantes et leur suite, ainsi que 4 taureaux de saillie). Pour nourrir son bétail, elle dispose d’une superficie de 65 hectares de prairies permanentes, dont l’herbe est soit pâturée, soit récoltée sous forme de foin. Isabelle Martin y privilégie les mélanges de graminées et de légumineuses, et opte pour des espèces pérennes, variées, résistantes, et adaptées au terroir ardennais.
1) Selon vous, pourquoi est-ce important de mieux faire connaitre votre métier aux consommateurs ?
« Car il y a des préjugés et des aprioris à combattre, parce qu’il faut parfois remettre l’église au milieu du village. Parce qu’on ne doit pas laisser ceux qui ne s’y connaissent pas parler de notre métier. Par exemple, la consommation d’eau nécessaire pour produire un kilo de viande et les chiffres erronés qui circulent un peu partout. Également, les aprioris négatifs qu’il y a sur les secteurs de l’élevage et les confusions que l’on entretient délibérément, mais aussi, le manque d’informations. A titre personnel, je peux lier la viande à la prairie permanente et la prairie permanente à l’environnement, cela aussi manque cruellement dans le débat, la protection de l’environnement ou les atouts de la prairie permanente dans la biodiversité. C’est ce que je fais régulièrement, communiquer sur ce volet-là, à titre personnel ou privé. »
2) Quel est le sujet sur lequel il vous parait le plus important de combattre les préjugés ?
« De mon point de vue, je suis persuadée que l’on doit communiquer sur la biodiversité, sur ce que l’élevage lié à la prairie permanente peut apporter en termes de biodiversité, de respect des paysages, d’autonomie alimentaire et d’autonomie dans les fermes également, d’indépendance vis-à-vis des intrants quand on est en prairie permanente. »
3) Quel est le sujet sur lequel la position de la société a évolué positivement ?
« Au niveau du bio, on le casse en disant que le bio est trop cher, que c’est un marché de niche. Au niveau global, la société n’a pas évolué à ce niveau-là. Oui, il y a des petites poches de personnes sensibles qui vont aller un peu vers le bio mais globalement, lorsque l’on regarde la grande surface et la manière dont les gens se nourrissent… Quand on va au restaurant, il n’y a jamais de bio, pas de local, la viande vient d’Argentine, ils nous servent de l’Angus… je suis un peu dubitative. Je reviens aux chiffres erronés, lorsque l’on dit qu’il faut 15.000 litres pour un kilo de viande, j’ai juste envie de dire aux restaurateurs, reprenons ce chiffre même s’il est faux mais reprenons-le puisque vous le considérez comme acquis : 15.000 litres d’eau par kilo de viande, à chaque fois que vous importez une tonne de viande, c’est une tonne x 15.000 litres d’eau que vous volez à l’Argentine. Je pense que les chiffres, il faut les servir à l’envers. C’est le message que j’aimerais faire passer aux restaurateurs qui se la pètent avec de l’Angus d’Argentine. De plus, il y a les messages du type « Nous soutenons le petit maraîcher du coin, le petit producteur bio du coin… » mais dès qu’il y a une crise, on est chez Aldi ou Lidl. J’ai du mal à voir le positif. A part produire de l’agriculture bon marché, l’agriculteur ne sert à rien. Si elle n’est pas bon marché, on la prendra ailleurs. Ça s’est vu avec la guerre en Ukraine et la crise qu’elle a provoqué. On manque de céréales bio pour les poulets car, évidemment, elles viennent d’Ukraine, et donc maintenant tout le monde se rabat sur les œufs bas de gamme, même le petit artisan boulanger. C’est facile de se prétendre artisan et de ne pas soutenir une filière. Maintenant, je ne sais pas comment on va passer l’hiver mais si on continue avec le coup de l’énergie, les fruits et les légumes, on va voir qui va les conserver et comment on va les conserver, cela vaut pour la viande aussi. Je ne sais pas comment on va faire pour réfrigérer la viande et la transporter. Cependant, sur une note plus positive, avant les crises énergétiques et la guerre en Ukraine, le gouvernement n’avait jamais prononcé le terme « sécurité alimentaire ». Maintenant, on est en train de se rendre compte que s’il y a un conflit, même en Europe, on pourrait ne plus avoir à manger en Belgique. Le gouvernement commence à parler de sécurité alimentaire et donc elle est devenue un enjeu national. Je me dis que maintenant, on va peut-être savoir que oui, si on ne produit pas en Belgique, on ne saura pas acheter sur les marchés extérieurs. »