Bio et agroécologie : convergences des idées, divergences des marchés

agriculturen régénérative

En Europe, l’agriculture biologique (AB) a ouvert la voie vers une agriculture plus durable face au modèle conventionnel dominant, mais d’autres approches – comme l’agroécologie, l’agriculture de conservation des sols (ACS) et l’agriculture régénérative (AR) – se développent et suscitent un intérêt croissant. Pourtant, leurs définitions restent floues et leur compréhension varie selon les acteurs.

Ces approches partagent l’objectif de réduire l’impact environnemental de l’agriculture, en respectant les cycles biogéochimiques des sols et les limites naturelles des écosystèmes, mais elles se distinguent dans leur philosophie et leurs priorités.

Apparue au début 20ème siècle, l’AB est encadrée par une réglementation européenne stricte qui interdit les intrants chimiques de synthèse et les OGM, tout en valorisant le bien-être animal et les ressources locales. L’agroécologie de son côté, adopte une approche holistique qui intègre des dimensions à la fois écologiques, sociales et économiques pour créer des systèmes alimentaires résilients et durables. L’ACS se concentre sur la préservation des sols, grâce à une perturbation minimale du sol, une couverture végétale permanente et une diversité des cultures. L’AR, quant à elle, vise à restaurer les écosystèmes agricoles perturbés et à renforcer leur résilience face aux aléas climatiques et économiques.

Dans les fermes wallonnes, ces quatre approches se concrétisent par des pratiques souvent communes, ou complémentaires ; adaptées aux spécificités locales, aux besoins et aux affinités des producteurs, effaçant ainsi dans les faits les frontières entre ces concepts.

Ainsi, à la Ferme familiale de Grange à Anhée, une transformation complète s’est opérée en 2017 pour se tourner vers un modèle agroécologique et bio-régénératif. S’en est suivie une importante diversification : système en polyculture-élevage céréales, moutarde, maïs, poules pondeuses, sapins de noël, apiculture, gîte à la ferme, vente directe, transformation des céréales en farine sur place grâce à un moulin. Les pratiques adoptées visent la régénération des écosystèmes et la circularité au sein de la ferme : pas de travail du sol en profondeur, compostage avec les fientes et les résidus de bois des sapins, reconstitution d’un maillage écologique (haies, bandes fleuries), couverture permanente du sol, etc. Membre fondateur de Farm For Good, la ferme mise également sur le partage de connaissances, la solidarité et l’association avec d’autres fermes pour se développer, créer des filières et ainsi soutenir la transition agroécologique. Pour le propriétaire Guirec Wouters, « le bio était la première case à cocher. Ensuite, on a voulu aller plus loin et être en circuit court, obtenir un prix juste, travailler en communauté, éduquer et sensibiliser les acheteurs et consommateurs. Il a fallu repenser tout le système ». 

Pour la Chèvrerie de la Croix de la Grise à Havinnes, l’autonomie a été au cœur de leur transition agroécologique. En 1997, la ferme passe d’une production laitière conventionnelle à un élevage bio, puis en 2000, elle passe des vaches aux chèvres. L’entièreté de l’alimentation des 70 chèvres provient de la ferme, et tous les produits y sont transformés (fromages au lait cru). En 2006, la ferme devient également pédagogique, pour vulgariser et informer sur les enjeux de l’alimentation durable et de la souveraineté alimentaire. Vincent Delobel, qui reprend la ferme familiale en 2016, développe ensuite davantage des pratiques de conservation des sols et vise une adaptation permanente face aux changements climatiques. Pour lui, « cela implique une remise en question permanente, la nécessité d’expérimenter, sans jugement des autres. Le bio a beaucoup à apprendre de l’ACS ou de l’agroécologie et vice et versa (…). Nos valeurs de fond restent l’autonomie, quel que soit le modèle choisit, et le combat commun du prix juste ».

De son côté, Johan Baland met en place l’ACS depuis plus de 25 ans dans sa ferme de grandes cultures à Chièvres, motivé par des problèmes de stagnation d’eau et de battance sur ses terres. Il a adopté diverses pratiques : semis direct pour certaines cultures ou léger travail du sol pour d’autres, couverture végétale ou interculture, adaptation des rotations. La quantité de PPP (Produits phyto pharmaceutiques) utilisée a été fortement réduite, grâce à des traitements « bas volumes ». Son usage se concentre sur un désherbant chimique pour éliminer les adventices et implanter une culture en semis direct sans labour. Pour favoriser la biodiversité sur sa ferme, Johan a aménagé des haies, des bandes enherbées, un verger. Il fait également de la transformation (huile de colza par une pression à froid). Pour lui, « il ne suffit pas de faire une ou deux pratiques d’ACS pour être en ACS. C’est une réflexion globale sur toute la ferme ». Et pourquoi avoir fait cette transition ? Pour tous les bénéfices que cela apporte à son sol, l’environnement et la qualité de ses produits ; pour la réduction des charges que cela implique ; mais aussi et surtout pour la satisfaction de voir un sol vivant et d’être aligné avec ses valeurs.  

Ces pratiques agricoles concurrence-t-elle le label BIO ?

Les frontières entre agroécologie, AB, ACS et AR étant poreuses, certains se demandent s’il ne s’agit pas que d’une question marketing, de représentation sur le marché. Pour le secteur du bio, il est évident que cette multiplication de termes, aux définitions souvent variables et sans cadre légal, peut représenter une concurrence déloyale. Les agroindustriels peuvent y voir l’opportunité d’arborer une image plus verte, tout en payant moins cher que le bio, mais sans pour autant garantir de réels impacts positifs sur l’environnement. A l’heure actuelle, il n’y a encore aucun label ou certification d’agroécologie, d’ACS ou d’AR officiels en Belgique adressés aux consommateurs. Et pour plusieurs acteurs[1], une opinion commune semble se dégager : il n’y a pas de volonté d’en créer et de perdre les consommateurs dans une jungle de labels. La majorité des consommateurs ne savent pas ce qu’est l’agroécologie, l’AR ou l’ACS. Souvent, les producteurs eux-mêmes n’ont pas la même compréhension de ces approches.

Si ce n’est pas à travers de nouveaux labels ou certifications, alors où trouver de la valeur pour ces approches alternatives au modèle conventionnel ? Pour Farm For Good, les entreprises agroalimentaires sont aujourd’hui prêtes à payer plus cher pour des matières premières produites de façon plus durable, afin de répondre aux exigences de plus en plus élevées des reporting environnementaux. En parallèle, il semble donc primordial de développer des outils pour mesurer les impacts des pratiques agricoles sur l’environnement ou des référentiels sur lesquels appuyer cette transition ; comme en témoigne Pascal Leglise, directeur de la RSE et du Développement Durable de Qualité à Carrefour :

 « Actuellement, une réflexion globale est menée par l’ensemble des acteurs de filières autour des pratiques durables et de leur définition dans un référentiel commun.  Nous testons, par exemple, l’indice de régénération[1] et nous nous basons sur les 13 principes de l’agroécologie (…). Il y a également une réflexion sur la communication qui pourrait en découler et sur les formes possibles de valorisation, qui devront être cohérentes et à l’avantage des producteurs. Est-ce que cela se traduira par une certification, ou par une sorte d’éco-score, qui établirait des « niveaux d’agroécologie » ? Il est trop tôt pour le dire. Quoi qu’il en soit, une coopération entre tous les acteurs sera essentielle, et devra se baser sur un référentiel solide, testé et approuvé par tous, qui apportera la confiance des consommateurs ». 

Pascale Léglise, directeur de la RSE et du Développement Durable de Qualité à Carrefour

Et comment faire coïncider cela avec le bio ?

« Tôt ou tard, ces pratiques durables devront s’aligner avec le bio. Les premiers à avoir fait de l’agroécologie, ce sont les producteurs bio. La communication ne devra donc pas se faire au détriment de l’un ou de l’autre ».

Pascale Léglise, directeur de la RSE et du Développement Durable de Qualité à Carrefour

La communication, un enjeu primordial !

La communication est donc un enjeu primordial, ce que l’Union Européenne a bien compris en adoptant la directive n°2024/825 qui vise à donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition verte, grâce à une meilleure protection contre les pratiques commerciales déloyales et une information renforcée. Les États membres devront transposer cette directive dans leur législation nationale d’ici le 27 mars 2026, pour une entrée en vigueur prévue au 27 septembre 2026. Récemment, un vote a également validé l’ouverture de négociations sur la proposition de directive 2023/0085 relative à la justification et à la communication des allégations environnementales explicites (allégations écologiques). Un cadre juridique semble donc se dessiner pour structurer les initiatives publiques ou privées autour de cette thématique.

En attendant, seule l’AB dispose d’une certification officielle et reconnue. Si certains voient en une certification de l’ACS ou de l’AR un moyen de valoriser ces pratiques, d’autres privilégient des modes de valorisation basés sur l’impact environnemental, l’impact carbone, la réduction des charges d’exploitation, ou encore les aides agro-environnementales et climatiques européennes, pour soutenir et rémunérer ces pratiques sans créer de nouveaux labels. 

Face aux enjeux environnementaux actuels, il apparaît essentiel d’établir une communication claire et transparente sur ces modèles agricoles au sein d’un cadre réglementaire adapté, garantissant une transition authentique des systèmes et des plus-values environnementales tangibles pour les consommateurs.

Références :

[1] Retours de Carrefour (Marine Bresson, responsable RSE), représentant franchisé (Benoît Keness, administrateur APLSIA), Farm For Good (Donatienne Van Houtryve, CEO), Terraé (Arnaud Stas, coordinateur Terraé), Collectif 5C (Magali Guyaut, directrice), Terres Vivantes (Elisabeth Van Rompu, agronome)

[2] L’indice de Régénération est recommandé par la House of Agroecology car il répond au mieux à différents critères définis, notamment son adoption large et les nombreux retours d’expérience, tout en étant abouti sur le plan agronomique. Carrefour utilise cet indice comme référentiel dans le cadre d’une phase test de 3 ans, portant sur trois produits issus de pratiques de conservation des sols (carotte, pomme de terre et cerise).